L’expression et en même temps a suscité ces derniers mois d’abondants commentaires – railleurs ou plus nuancés. Pour la coach / consultante en évolution professionnelle que je suis, elle résonne de manière très concrète car elle m’évoque des visages et des moments d’échanges dans mon bureau.
Directeur Marketing au sein d’un des fleurons français du luxe, très apprécié par son Directeur général, A. est venu me voir car, depuis plusieurs mois, il n’est plus heureux dans son entreprise et cette baisse de motivation professionnelle commence à envahir tous les pans de sa vie. Naguère passionné par son métier, il affirme qu’il en a « fait le tour » et en relativise l’utilité même. Il voudrait « faire autre chose » mais ne sait pas quoi.
– « Je voudrais quitter le monde de la mode qui est si futile. J’ai un ami qui a renoncé à un poste dans la finance pour créer une entreprise de réinsertion en province, en divisant au passage son salaire par trois. J’admire son engagement, sa capacité à mener une vie cohérente avec les valeurs qu’il défend. Je serais sûrement plus fier de moi que je ne le suis aujourd’hui si je travaillais pour une noble cause et en même temps je ne me sens pas prêt à renoncer à mon niveau de rémunération actuel qui me permet notamment de voyager plusieurs fois par an – un luxe qui m’est devenu indispensable.
– Comment pourriez-vous concilier ces deux aspirations ?
– Je participe déjà au financement d’un projet de développement en Asie mais cela n’est qu’une façon de me donner bonne conscience. J’aimerais avoir le courage de prendre une décision plus drastique. Je me sens tiraillé entre des motivations opposées, je n’arrive pas à entrevoir quel projet professionnel pourrait me réconcilier avec moi-même. »
Un peu plus loin dans notre échange…
– « Je voudrais avoir plus de temps pour moi et pour ma famille. J’en ai assez de courir du matin au soir, les yeux rivés sur des objectifs de plus en plus court terme. J’aspire à un rythme plus doux qui me permettrait de souffler, de lire, de prendre du recul sur ma vie. Et en même temps, je sais que dès que je ne suis pas engagé à 200% dans des projets suffisamment excitants, je me démotive vite et je gâche mon temps. »
J’ai devant moi un homme malheureux, qui me dit que plus il réfléchit à « comment avancer », plus il a l’impression de faire du sur place. Il se désole de se sentir si « compliqué », en proie à des envies qui lui semblent irréconciliables. Ce serait si simple s’il pouvait être plus simple !
Je partage avec A. ma vision des choses. La réalité (la sienne, la mienne, celles des personnes que j’accompagne) nous enseigne que l’être humain est complexe. Oui, nous abritons des désirs apparemment contradictoires. Oui, nous ne pouvons sans nous mutiler réduire nos réflexions aux ou / ou quand il s’agit d’engager notre propre vie. Les et en même temps que nous abritons sont difficiles à vivre ? Ils paraissent suspects à certains ? Soit, mais pouvons-nous vouloir les réduire à tout prix au risque de nager à contre-courant de nous-mêmes ?
Je le vois se détendre.
– « Vu sous cet angle, mon problème me paraît moins grave – et qui sait – peut- être moins insurmontable… Je vais laisser tout cela reposer et on en reparle la prochaine fois ».
Il est des moments dans nos vies professionnelles où nous ressentons comme un décalage entre ce que semble attendre de nous notre univers professionnel et ce que nous percevons comme « juste » pour nous. Juste au sens de justesse. Avoir l’impression de « sonner juste », comme on le dit d’un violon bien accordé, est facteur d’un profond bien-être. Comment y parvenir ?
Si notre fonctionnement général change peu, nos sources de motivations peuvent, elles, évoluer au cours de notre vie. Ainsi l’homme / la femme de 45 ou de 50 ans n’aspire souvent plus aux mêmes choses qu’au début de sa carrière. Il n’est pas rare qu’il / elle ressente alors le désir de « changer de vie ». Mais quand il s’agit d’imaginer quels contours pourrait prendre ce « nouveau départ » tant espéré, voilà brusquement que la mécanique de changement qu’on avait cru activer se grippe, que « ça patine »…
Or plus on se sent coupable de tous ces tiraillements en nous-mêmes, plus l’horizon peine à se dégager. Que faire ? Se reconnaître humblement humain, pleinement humain, pleinement complexe est un prélude indispensable au temps des projets – au temps de la mise en place des ajustements qui permettront le retour de l’énergie et de la confiance.
Complexus signifie ce qui est tissé ensemble, nous rappelle Edgar Morin. Accepter d’être tissé de « vérités profondes, antagonistes les unes aux autres… complémentaires sans cesser d’être antagonistes » est sans doute le premier pas pour construire un « à venir » respectueux de soi-même.
Monique Dautremer